Dans une société comme la nôtre, fièrement fidèle à sa culture et ses bonnes mœurs, des histoires finissent toujours par être censurées. Certaines, plus « normales », ont droit à la parole absolue et sans questionnements. D’autres se racontent derrière des portes closes, à l’abri des regards et de tous ces esprits qui se disent bien-pensants. Ce blogueur nous fait part de son désarroi.
« Je ne veux pas d’un enfant hors nature », « De la même manière que Sodome a brûlé, tu finiras aussi bon pour l’enfer … », « Inda yarigutuma ikoroka nkakubura hako ndonka umwana ameze uko »…
L’autre fois j’ai même entendu sur WhatsApp cette chanson au refrain si déroutant « ngo n’igi pédé ». Ceux-ci et bien pire sont les différents mots qui font partie de mon quotidien et ont surtout caractérisé mon enfance. Entre ma propre incompréhension, la haine, la violence, les regards méprisants et l’hypocrisie des adultes compréhensifs uniquement quand tu ressembles à ce qu’ils veulent, je dois vivre car mon histoire s’écrit chaque jour.
Avant de ressusciter…il faut bien mourir de quelque chose !
Je m’appelle Jordy. J’ai 18 ans et je vis à Gihosha. Toute ma scolarité, j’ai toujours été le petit garçon éveillé, participatif et très dynamique. Dans une parfaite inconscience, mes histoires de tous les jours attiraient les filles et rendaient jaloux les garçons de ma classe. De ma part, je n’avais aucun problème ni avec les filles ni avec les garçons, et tout se passait pour le mieux jusqu’à ce que le harcèlement commence. Tantôt c’était des bousculades, tantôt des insultes comme « petit pédé » ou « pauvre fille manqué ». Des mots et des expressions pour me faire très bien comprendre que je n’étais pas à ma place. Déjà qu’est-ce qu’est censé être ta place quand tu as 10 ou 12 ans ?
Plus tard, vers l’adolescence, j’ai dû réajuster mon amitié avec les filles car ça posait visiblement un grand problème. J’avais l’impression de voler le temps aux garçons pour draguer. J’ai donc coupé toute relation avec les filles mais rien n’a changé. Alors je me suis dit que ma participation active en classe était peut-être perçue comme un moyen de se faire montrer. J’ai donc aussi commencé à lever la main très rarement. Mais au lieu de s’apaiser, tout est devenu plus intense. Des moqueries durant les temps libres, de violentes bousculades durant les moments de sport, et moi qui réduisais ma voix au silence dans l’espoir de trouver un peu de tranquillité.
Ainsi, ma vie se transforma petit à petit en un enfer. Mes notes ont commencé à partir en chute libre. Mes parents ne comprenaient plus rien et commençaient à me crier dessus. Des fois ils me frappaient pour ces 2/20 qui se multipliaient de plus en plus. Des punitions ont suivi. Plus droit au téléphone ni aux sorties du weekend. Sans le savoir, mes larmes me conduisaient inexorablement dans une solitude absolue.
Mon histoire, celle des milliers d’autres jeunes
Je n’ai jamais pu le dire à mes parents ni à mes professeurs parce que c’est drôle mais j’arrivais très bien à deviner leur réponse. C’était sûrement « ugufyina ». C’est donc dans ces moments que j’ai commencé à tenir un journal. L’écriture m’a offert un espace sûr où je pouvais pleurer à haute voix. J’écrivais ce que je ressentais, ce que j’aimais et ce que je détestais dans cet entourage malsain et hostile. Le fait de lire les histoires des autres à travers les livres et de réécrire ma propre histoire m’a donné des réponses à certaines des questions les plus compliquées que je me posais. L’une des réponses que j’ai obtenues a été de réaliser que je n’avais rien de bizarre, mais plutôt que j’étais un petit garçon avec sa propre personnalité que la société avait échoué à comprendre. Et cela m’a rendu très heureux.
A RELIRE :
Aujourd’hui, je suis en terminale. Je me bats toujours contre tous les mots et tous les gestes qui me rappellent que je n’ai pas ma place dans notre société. Cet été j’aurais mon diplôme, sans faute. Je me considère comme un survivant. Et aux commentaires désobligeants de mes camarades, et aux blagues inutiles de mes professeurs sur ma manière de parler ou de marcher. Dieu seul sait combien de fois j’ai dû ravaler mes larmes, pour que « pleurnichard » ne s’ajoute pas à mes nombreux surnoms. L’école ne me manquera en rien, vraiment. Tout ce qu’il y a de toxique, qu’il y reste enterré à jamais ! Ce que j’aurais voulu en vrai? Simplement une oreille attentive et une compréhension qui ne juge pas, mais même cela j’en ai été privé.
Victime ? Non. Survivant. Oui, et gloire à Dieu.
Cet article a été initialement publiée sur https://www.yaga-burundi.com/urukundo/seras-viril-fils/
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