Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Burundi : confessions intimes d’une lesbienne

Après le communiqué du Conseil National de Sécurité qui condamne l’homosexualité et appelle « les services concernés à endiguer ce fléau », une membre de la communauté LGBT a tenu à réagir dans cette missive.À chaque Burundais qui s’identifie dans cette lettre…

Il y a quelques jours, alors que je lézardais tranquillement sur les réseaux sociaux, j’avais eu comme une envie de rire à propos de l’une de vos dernières condamnations. Oui, celle qui porte sur  « l’homosexualité » et votre recommandation « aux services concernés d’endiguer ce fléau». J’aurais pu me dégourdir les côtes et rapidement faire semblant de n’avoir rien vu mais voilà, presque deux semaines après, je suis toujours en train de ruminer mon ressentiment. Je suppose que ça m’a affectée d’une certaine manière et donc oui, je ne vais pas me gêner et composer cette missive.

Je prends le temps de m’exprimer non pas que j’attends de vous une quelconque action en retour (encore moins positive) mais plutôt parce que je voudrais réfléchir à haute voix et partager ce que j’ai comme opinion sur le fait que moi, femme dans la vingtaine, sans emploi et homosexuelle, je sois perçue comme une menace pour la sécurité nationale du Burundi.

Personne n’est coupable de vivre et d’exister

Aux quatre coins du Burundi, du jour au lendemain, des dizaines de milliers de jeunes hommes et femmes se rencontrent, expriment leurs amours ouvertement et vivent des expériences merveilleuses ensemble et la société acclame. Aux quatre coins du Burundi, aussi, des dizaines de milliers d’autres jeunes hommes et femmes évoluent dans des quotidiens avec des questionnements et des vies sans aucun modèle social positif sur lequel s’identifier. Je fais partie de la deuxième catégorie. Mon existence et mes capacités à faire sont souvent questionnées par plus d’une « justification de ce qui est normal» et quand j’ose poser des questions, ce sont des accusations en tous genres que je reçois.

Et pourtant, le Burundi dans sa généralité n’évolue que dans des différences. Des différences sur lesquelles, il se veut « porter fièrement » des valeurs de tolérance et de respect. Mais cela s’applique sur tout le monde, sauf moi. Apparemment, c’est « l’idéal du normal » à suivre, jusqu’à ce que quelqu’un refuse de vivre éternellement en s’excusant de ce qu’il est, même « pire », d’aimer qui il veut et le montrer comme tout le monde. À ce moment, le gouvernement engage, du jour au lendemain, des lois pour criminaliser ses propres citoyens, et une institution aussi vénérable comme le Conseil National de Sécurité (et bien de nombreuses autres) fait des recommandations sur un  sujet qui relève du domaine de l’intimité.

Je ne cesse depuis de m’interroger. Y aura-t-il vraiment plus de paix et de développement dans ce pays si ce « fléau » est éradiqué ? Peut-être que c’est nous « les enfants du diable » qui sommes la malédiction de ce pays . Et qu’en est-il de ceux qui institutionnalisent des haines et des divisions au nom de la culture, de l’ethnie, des bonnes mœurs et de pire « au nom de Dieu », etc. ? N’est-ce pas ce même Dieu qui sait combien les réalités sont différentes, qui sait pourquoi il a créé chaque personne mais aussi ce même Dieu qu’on s’amuse tous, depuis toujours, à mettre à notre image pour être plus « confortable ». En tant que Burundaise et sur nos différences, n’avons-nous pas eu assez de leçons dans le passé ? Qu’avons-nous appris de cela dans les autres cadres sociaux affectés par des divisions ?

L’espoir ne sera jamais silencieux !

De mon éducation stricte à la burundaise, de ma vie de femme évoluant dans cette société qui désespère à me trouver un mari pour tout et n’importe quelle raison, je sais très bien qu’on ne rit pas des décisions des adultes. Je sais très bien qu’on ne rit pas non plus de celles des grandes instances comme un conseil national de sécurité de tout un pays. Néanmoins, je sais que notre pays a besoin de tous les bras capables, de tous les cerveaux qui pensent pour se construire. Mais alors, comment moi et toutes ces autres personnes homosexuelles contribuerons-nous fièrement au « Burundi de demain » sans nous faire lapider?

Dans ma condition de vie, j’ai pris conscience, plusieurs fois, que mon avenir ne tiendra toujours qu’à une décision près, de quelqu’un d’autre. À toujours être dans une recherche interminable de validation sur celle que je suis et ce que je voudrais devenir dans cette société burundaise, je m’étonne souvent de voir combien celle-ci voudrait me faire croire que je ne suis pas des leur. Comme si j’étais apparue ici par magie. C’est offensant en effet ! Pendant que ces adultes bien-pensants passent leurs journées à faire la pluie et le beau temps, j’espère au moins pouvoir être assez forte et contribuer à construire fièrement un Burundi où des gens comme moi se sentiront plus les bienvenus et moins discriminés.

Dans l’utopie de cette croisade contre le diable (imaginez que je porte des cornes) se tiendra plusieurs messes (le monde a déjà vu pire). Chaque fois que vous direz AMEN à tous ces messages de haine et cette mentalité de division, qui soutiennent directement et/ou indirectement les violences et la catégorisation de vos propres concitoyens comme des êtres de seconde zone, sachez que nous autres enfants du Burundi (Ou du diable, c’est selon), on vous regarde faire. Après des générations entières d’adultes qui ont connu des échecs dans des divisions ethniques, régionales, etc., il est temps que la jeunesse commence à penser par elle-même, et à se tracer son propre chemin. Les temps de la haine et de la division sont révolus.

NB: Ce courriel a initialement été publié sur le site web Yaga Burundi.